Épilepsie et aviron

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« L’homme est né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude ou dans la léthargie de l’ennui ».

Voltaire

Jusque-là, l’épilepsie était considérée comme une pathologie contre-indiquant de façon formelle et absolue la pratique de l’aviron. Dans le souci de permettre une pratique adaptée et sécurisée de l’aviron pour le plus grand nombre, la Commission médicale fédérale a eu une réflexion sur le sujet. Il en est sorti des conseils d’une pratique possible pour les épileptiques. C’est ce travail qui vous est présenté dans cet article.

Définition

L’épilepsie est une maladie neurologique associée à des crises avec convulsions, absences et rigidité musculaire, mais il existe une très grande variété de symptômes. On ne parle donc pas « de l’épilepsie », mais plutôt « des épilepsies ». Ces crises sont liées à une activité électrique anormale de certaines cellules du cerveau.

Une personne est considérée comme épileptique lorsqu’elle a présenté 2 crises d’épilepsie ou plus en moins de 5 ans. Il faut qu’il y ait eu au moins une crise « non provoquée ». Il existe des équivalents sous forme de pertes brutales de la conscience. La fréquence de l’épilepsie en population générale croît avec l’âge (de moins de 0,5% avant 20 ans à 2,0% à 70 ans).

Contexte historique et évolution de la pensée

Les restrictions historiques de l’accès au sport pour les patients épileptiques

En 1968, l’AMA (American Medical Association) recommande des restrictions sportives par crainte d’induire des crises et des traumatismes. En 1974, l’AMA et l’AAP (Académie américaine de pédiatrie) permettent la pratique du sport chez les enfants si ce dernier est source d’équilibre. En 1983, l’AAP recommande le sport aux enfants épileptiques même en cas de handicap. En 1997, l’ILAE (International Ligue Against Epilepsy) recommande l’activité sportive sauf le jumping et la plongée sous-marine.

Il existe globalement et historiquement des réticences à la pratique sportive craignant :

  • Une induction des crises par l’effort physique et l’hyperpnée
  • Des risques d’accident liés à une crise lors du sport, liés à des effets secondaires des médicaments
  • Par peur, ignorance, surprotection.

L’exclusion des patients épileptiques de l’activité sportive est fréquente. Le patient épileptique lui-même s’autocensure, car il est difficile « d’être épileptique » et de le montrer devant l’équipe.

En 1999 sort une étude de référence qui compare une population de patients épileptiques à une population qui ne l’est pas (100 patients et 100 témoins) : les épileptiques font moins de sport et utilisent plus les salles que les clubs athlétiques ou les activités d’extérieur. 36% évaluent le sport comme préventif des crises alors que c’est le contraire pour 11%. Il n’y en aurait que 2% qui feraient des crises dans plus de 50% des cas de leur pratique physique. 53% n’ont jamais eu de crise en lien avec l’exercice. Les patients faisant des crises sont plus fréquemment porteurs de lésions cérébrales sous-jacentes.

Les premiers arguments des effets positifs du sport chez le patient épileptique

Une revue de la littérature de 2009 a fait un état des lieux des connaissances sur l’effet bénéfique du sport dans la vie courante des patients épileptiques. Elle collige un nombre croissant de publications favorables sur le plan thérapeutique.  On avance surtout une modification du seuil de déclenchement des crises via des adaptations métaboliques et physiologiques. L’activité physique permettrait de mieux faire face aux situations stressantes de la vie courante et augmenterait l’estime de soi.

Signalons aussi une étude intéressante sur la même période du fait de sa puissance statistique avec un nombre de personnes étudiées conséquent. Cette étude s’intéresse aux blessures hors sport, mais ne comptabilise pas les décès. En effet, il s’agit d’une étude rétrospective par questionnaire (et l’on ne voit pas très bien les morts y participer). Elle objective le fait que les patients épileptiques n’ont pas plus de blessures. Dans l’étude 130882 personnes sportives ou non (population tout venant) sont étudiées.

L’étude a comparé la fréquence des blessures sur un an entre les personnes épileptiques et celles qui ne le sont pas : 14.9% de blessures chez les épileptiques versus 13.3% dans la population non épileptique. Moins de blessures liées au sport, mais 3 fois plus de recours à l’hospitalisation en cas de blessure, ce qui peut faire penser que ces blessures étaient liées à des crises d’épilepsie, les blessures orthopédiques étant les plus fréquentes. Le problème tient à la méthode de sondage qui par définition élimine les décès.

On perçoit que la population d’épileptiques est prudente, mais fragile. Dont acte.

Les épileptiques meurent de mort soudaine 2 fois plus fréquemment que le reste de la population. Les morts soudaines chez l’épileptique sont responsables de 7.5% à 17% des causes de leur décès. Les facteurs de risque sont l’âge avancé, la survenue précoce des crises, la durée des crises, les crises du lobe temporal non contrôlées, la fréquence des crises, le nombre de médicaments antiépileptiques et les températures extérieures basses.

Les études prospectives sur les sportifs épileptiques ne sont pas nombreuses. En 1990, une étude chez les femmes a montré qu’un programme d’activité physique ne change pas la fréquence des crises, suivie d’une autre étude qui montre même une diminution des crises. Commence à se dégager l’action préventive de l’activité physique sur les crises.

À ce stade, il est encore difficile de dégager des règles générales. L’activité physique améliore l’estime de soi, pourrait sans doute diminuer le nombre de crises. Il s’agit d’une population fragile à plus forte mortalité soudaine.

Une synthèse critique plus aboutie a été publiée en 2020

Cette synthèse provient d’un article récent qui fait une revue critique de toute la littérature jusqu’à ce jour sur le sport et l’activité physique chez l’épileptique pour répondre à 3 questions.

1°) Est-ce que l’épileptique est physiquement aussi actif que le reste de la population générale ?

2°) Quels sont les effets de l’activité physique sur les comorbidités ?

3°) Quel est l’effet de l’activité physique sur la fréquence des crises ?

A partir de 16285 publications, une sélection finale de 42 publications méthodologiquement fiables ont été retenues.

Les patients épileptiques ont une activité physique moindre. 16 études sur 17 trouvent une diminution des comorbidités et/ou une amélioration de la qualité de vie. Les résultats sur le nombre de crises sont hétérogènes, mais il n’y a pas eu d’augmentation du nombre de crises statistiquement représentative. Cependant, il existe suffisamment d’arguments en faveur de la possibilité de crises provoquées par l’exercice ou de crises plus graves pendant ou après l’exercice. Ces cas sont rarement publiés, vraisemblablement du fait de leur faible nombre. Sur 400 patients épileptiques sportifs, seuls 2 identifient le sport comme facteur déclenchant.

 

Aviron et épilepsie

Comme toute activité sportive, l’aviron ne peut que diminuer le nombre de crises d’épilepsie, renforcer la confiance, l’estime de soi et donc améliorer la qualité de vie. Cependant, même si elles sont rares, les crises d’épilepsie peuvent être induites par l’exercice (pendant ou après). Il faut donc mettre en place les mesures de sécurité nécessaires, car elles peuvent survenir sur un bateau ou même dans les phases d’embarquement et de débarquement. La première réponse serait : l’aviron, oui, mais en fonction du risque de crise, de sa gravité et des mesures de prévention des dangers (blessures et noyade) qui peuvent être mises en place.

Pour information, les différentes disciplines sportives ont été classées par l’ILEA suivant le niveau de risque qu’elles font courir au patient épileptique. L’aviron peut être comparé au canoë-kayak (sport du groupe 2).

Tableau général inspiré des recommandations de Capovilla secondairement adaptées pour l’aviron

Conclusions de la Commission médicale fédérale

Il n’existe pas de contre-indication stricte comme pour les sports dits à haut risque. Dans tous les cas un avis médical est obligatoire.

  • Autorisation possible par un médecin dès lors que : survenue d’une crise unique avec facteur déclenchant retrouvé indiscutable que l’on peut prévenir (trouble métabolique aigu, sevrage alcoolique, cause toxique) sans traitement épileptique
    • Entraînement en salle et musculation autorisés
    • Ergomètre autorisé
    • Bateau autorisé
  • Avis du médecin spécialiste (neurologue) requis pour toutes les autres situations où un traitement antiépileptique est souvent nécessaire, sans facteur déclenchant retrouvé. L’autorisation est décidée au cas par cas :
    • Crise unique ou plusieurs crises sans récidive : activité possible après recul d’au moins 12 mois.
      • Entraînement en salle et musculation autorisés
      • Ergomètre autorisé
      • Bateau long autorisé (yolette, 4 ou 8)
      • Double scull autorisé avec gilet autogonflant
      • 1X et 2- contre-indiqués
    • Épilepsie active sous traitement (au moins une crise dans les 12 derniers mois) : la décision de pratique doit être réévaluée en fonction du type de crise.

Ce groupe comprend :

  • Les crises uniquement nocturnes : activité sportive possible si les crises n’interfèrent pas avec le rythme du sommeil.
  • Les crises sans rupture de contact (crises focales avec troubles sensoriels, cognitifs ou moteurs) : activité sportive autorisée à condition d’être encadrée, que le type de crise soit caractérisé par le neurologue, que le sportif ne court pas de risque physique dans l’environnement en cas de crise. Avec consentement écrit du rameur.
    • Entraînement en salle et musculation autorisés en évitant les squats et développés couchés
    • Ergomètre autorisé
    • Bateau long autorisé (yolette, 4 ou 8)
    • 1X, 2X et 2- contre-indiqués
  • Les crises avec signes moteurs au premier plan (atoniques, toniques, cloniques)
Sans rupture de contact Avec rupture de contact
Entraînement en salle et musculation autorisés en évitant les squats et développés couchés.

Pratique de l’ergomètre autorisée

Pratique du bateau contre-indiquée.

Contre-indication complète de toutes les activités en club d’aviron

Réévaluation si 10 ans sans crise dont 5 ans sans traitement.

Conditions sine qua non pour les athlètes autorisés :

  • La Commission médicale fédérale est au courant du dossier. Traçabilité pour surveillance et suivi
  • Une réévaluation par neurologue annuelle est obligatoire. Celui-ci décidera de l’opportunité d’un EEG qui n’est pas obligatoire.
  • La sortie en bateau est sécurisée
  • Un respect de l’hygiène de vie (importance d’éviter les facteurs favorisant une crise)
    • Traitement épileptique bien pris
    • Pas de dette de sommeil
    • Attention à la prise d’alcool
    • Diététique contrôlée avec prévention des hypoglycémies

Annexe – CONDUITE A TENIR EN CAS DE CRISE

En cas de crise lors de la pratique sportive :

  • Garder son calme
  • Protéger le pratiquant, retirer ses lunettes, empêcher sa tête de se cogner, retirer les objets avec lesquels il pourrait se blesser, desserrer des vêtements trop serrés
  • Position latérale de sécurité dès que possible
  • Vérifier rythme cardiaque, respiration coloration cutanée
  • Ne pas mettre ses doigts dans la bouche ou tout objet rigide
  • Vérifier qu’il n’y a pas de blessure s’il y a eu chute ou choc
  • Attendre que la conscience revienne progressivement en restant à côté du patient, ne pas chercher à l’immobiliser à tout prix
  • Après la crise, rassurer, expliquer ce qui s’est passé, rester jusqu’à une reprise complète de la conscience
  • Témoigner de la description, de la durée de la crise

Quand appeler les secours ?

  • Première crise (d’où l’intérêt de prévenir quelqu’un de confiance si on connait son épilepsie ou celle de son enfant)
  • Crise prolongée durant plus de 5 minutes (montre en main)
  • Survenue d’une seconde crise avant la reprise de conscience, crises répétées
  • Absence de reprise de conscience au bout de plus de 5 à 10 minutes, trouble respiratoire ou du rythme cardiaque
  • Blessure, céphalées intenses, vomissements incoercibles après la crise
  • Femme enceinte, patient diabétique, fièvre.

Quand ne pas appeler les secours ?

  • Crise habituelle
  • Patient épileptique connu
  • Reprise progressive d’une conscience normale (quelques minutes à une heure)
  • Pas de blessure.

La plupart du temps les secours arrivent après la crise. Ils n’auraient pas été appelés si la crise était survenue à la maison. D’où l’intérêt d’identifier dans le club une personne de confiance qui connait l’épilepsie du sportif et la conduite à tenir.

Comment prévenir les risques ?

  • S’assurer de la prise des médicaments, surtout en déplacement (stage et/ou compétition). Un traitement bien conduit et bien pris est plus efficace !
  • S’assurer d’une durée correcte de sommeil, surtout en déplacement
  • Chez l’enfant (mais aussi sans doute chez l’adulte), demander un avis médical ou neurologique d’aptitude. Tenir compte d’éventuelles restrictions.
  • Avoir une personne de confiance dans le club de sport qui soit prévenue de la possibilité de crises, de la description des crises et de la conduite à tenir
  • Se méfier des troisièmes mi-temps ! (cocktail fatigue/alcool…)

Références bibliographiques 

Très nombreuses, elles ne sont pas citées ici. L’auteur les tient à la disposition de toutes les personnes intéressées par le sujet et qui en ferait la demande.

Conclusion

Les choses doivent changer et évoluer. Comme on le voit, ce travail a permis d’établir un cadre et des règles de pratique de l’aviron qui devient possible chez certains malades épileptiques. L’activité physique, adaptée, sécurisée, est même alors un élément d’amélioration de l’état général de l’individu que ce soit sur le plan physique ou psychique.

Docteur Michel BRIGNOT
Médecine et Traumatologie du Sport
Fédération française d’aviron

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