Ce week-end, l’équipe de France d’aviron a enregistré de belles performances aux régates internationales d’Essen. Mais l’on ne doit pas s’arrêter au nombre de médailles, qui n’est pas forcément parlant. D’autres facteurs, plus attendus par l’encadrement, sont plus au rendez-vous.
L’équipe de France est rarement passée par la première manche de coupe du monde pour entrer dans la saison internationale. Généralement, c’est aux championnats d’Europe que les bateaux tricolores pointent le bout de leur pointe pour la première fois sur l’eau, voire à la deuxième étape de coupe du monde. Mais voilà, le calendrier en a décidé autrement, plaçant la compétition européenne en plein cœur de l’été, au moment des jeux du vieux continent.
Cette saison, c’est donc à Essen que les Bleus sont entrés en piste, à l’occasion de la 102e Hügelregatta. Un choix assumé et pleinement expliqué par le consultant exécutif de la haute performance de la Fédération française d’aviron, Jürgen Gröbler : « sur une régate comme Essen, on peut changer de composition d’un jour sur l’autre, faire des essais. Cela a permis par exemple de passer du deux sans barreur et du quatre sans barreur à un huit d’un jour à l’autre pour nos U23. En coupe du monde, on n’aurait pas pu le faire ». En effet, les régates World Rowing sont peu, voire pas, flexibles. Et pour cause : elles donnent lieu à un classement, une reconnaissance extérieure du statut de tel ou tel bateau, de tel ou tel équipage… A Essen, la seule reconnaissance est celle de la performance du jour, que l’on peut certes comparer à celle des autres bateaux engagés, tout en relativisant sa valeur.
Un nouveau départ
Les mauvaises langues diront que les performances étaient faciles à réaliser, qu’il n’y avait personne à Essen… Et pourtant, plusieurs nations – que ce soit des fédérations nationales ou des clubs – avaient fait le déplacement : la Slovénie, l’Autriche, la République tchèque, la Pologne, les Pays-Bas, la Suisse, le Japon… sans oublier le pays hôte, l’Allemagne, qui profite de la régate pour établir le premier jet de sa sélection nationale. Le rendez-vous sur le Baldeneysee accueille également les U23 qui disposent, en Europe, de peu de rendez-vous avant de disputer leurs mondiaux fin juillet. « A Essen, il y a un bon mix entre de bons équipages et d’autres qui sont en cours de constitution, comme les Suisses ou les Tchèques, ajoutait Jürgen Gröbler, Essen est le bon endroit pour un nouveau départ, avec de nouveaux athlètes ».
Car il ne faut pas l’oublier, il s’agit bien d’un nouveau départ. L’équipe de France est revenue de Tokyo avec deux médailles… venant de ses deux seuls bateaux qualifiés en finale A sur une flotte de cinq embarcations. Un quatre sans barreur qui ne passe pas la régate finale à Lucerne, un deux de couple poids léger champion olympique en 2016 qui n’a pas su rebondir l’olympiade suivante, la pointe féminine qui ne parvient pas à percer… La liste pourrait être longue, mais le responsable du programme Ambitions 2024 OLY veut voir plus loin et remettre les compteurs à zéro. « Nous avons de tout nouveaux équipages après les championnats de France bateaux courts, on a travaillé tout l’hiver avec ces nouveaux athlètes qui apprennent. Comme le quatre sans barreur féminin qui apprend cette saison : évoluer devant et ne plus voir la course de la même façon apporte de la confiance, de la motivation. Une régate comme ça, qui se passe de cette façon, c’est utile pour ce nouveau départ, pour l’apprentissage ».
De nouveaux équipages
Entre les décisions prises par certains athlètes de mettre un terme à leur carrière, ou de la suspendre provisoirement, il a bien fallu faire reconstruire. Mais comme le répète à l’envi le directeur technique national Sébastien Vieilledent, « on a du potentiel, mais pas de marge ». Une des explications au fait que sur Essen, on aurait pu procéder à davantage de changements dans les bateaux, on n’a enregistré que quelques rares modifications d’un jour à l’autre : Etienne Juillet qui rame en deux sans barreur le samedi pour remonter dans le quatre sans barreur le dimanche, un quatre sans barreur et deux paires U23 qui forment un huit le lendemain. « On n’a pas beaucoup d’athlètes, donc on fait avec ce que l’on a ».

Et des nouveautés, il y en avait à Essen dans les bateaux tricolores. On peut commencer par le deux de couple poids léger féminin qui a finalement ramé en open. « Elles ont pu se challenger à d’autres adversaires, poursuit Jürgen Gröbler, se relancer dans la saison, elles étaient plus relâchées, sans la pression du poids ». Une pression qu’elles ne revivront qu’à Lucerne, les deux vice-championnes ne prenant pas part à l’étape polonaise de la coupe du monde.
Toujours en poids léger, les performances du double masculin de Ferdinand Ludwig et Hugo Beurey sont éloquentes. Point d’enlevage au rabais pour eux ! Un point commun à l’ensemble des bateaux tricolores d’ailleurs, un engagement et une exemplarité sur l’eau dans le comportement en course. Même lorsque l’affrontement n’y était pas forcément, les Bleus ont affiché un esprit sportif flagrant.
Après la méthode Gröbler, l’effet Gröbler ?
Depuis plusieurs mois, le programme d’entraînement a évolué. On ne reviendra pas sur les détails en termes de nutrition, de fréquence ou de type d’entraînement, déjà longuement abordés… Mais il est indéniable que les effets sont perceptibles, de l’aveu même du DTN sur les berges du Baldeneysee. Et l’on peut peut-être mettre au crédit de cette nouvelle méthode les 21 médailles – ou premières places A et U23 – décrochées par l’équipe de France à Essen. « On a fait évoluer le programme, cela montre que ça marche, admet Jürgen Gröbler. La confiance est importante. Tout n’est pas parfait, mais nos équipages ont montré qu’ils étaient capables de challenger de bons bateaux qui viennent chercher une sélection ». Mais les Bleus, outre un bilan dont on pourrait toujours contester la valeur, ont affiché autre chose sur ce premier rendez-vous : le plaisir de ramer. Même les athlètes l’ont remarqué, comme le soulignait Valentin Onfroy : « ici tout le monde sourit, il y a une autre ambiance qu’en coupe du monde, on sent que les athlètes prennent du plaisir et sont contents d’être là ».
Un effet Gröbler ? En tous cas, les rameuses et les rameurs, quels qu’ils soient, sont unanimes, à l’instar d’Esteban Catoul qui confirmait : « On s’entraîne, et ça paye aujourd’hui ». Ce week-end est envisagé par tous comme des courses de travail, certes récompensées par une médaille à l’arrivée : « on a cherché à faire des parcours aboutis et propres, commente Téo Rayet, avant de prendre des crans en cadence ».
Essen est donc la première manche du chemin qui va conduire les Bleus jusqu’à Racice en septembre, et elle a été validée de plutôt belle manière, tant dans la performance que dans l’attitude sportive.
Fabrice Petit