Nouveaux horizons
C’était il y a deux ans, à la buvette sur les berges du bassin des championnats du monde de Belgrade. Nous refaisions le monde de l’aviron avec Xavier Dorfman, champion olympique 2000 en quatre sans barreur poids légers et alors entraineur de l’équipe de Japon. Homme à convictions, Xavier regrettait alors la disparition prochaine des PL du programme olympique et son remplacement par le beach rowing sprint (sprint d’aviron de plage en bon français).

Cela fait des années que cette discipline tente de se développer, mais elle va connaitre un nouvel élan avec les championnats du monde (world rowing beach sprint final) qui débutent ce jeudi à Antalya (Turquie). Avec ses 342 engagés représentant 55 nations, il s’agit du premier rendez-vous planétaire de l’Olympiade et de la première étape chemin qui va conduire aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028. Autant jusqu’à présent on pouvait considérer l’aviron de mer comme une aimable plaisanterie, autant il va falloir maintenant prendre la chose au sérieux. Sans que cela n’empêche de regretter les poids légers.

Il ne faut cependant pas être réducteur : l’aviron de plage ne prend pas la place des PL. En fait, la catégorie chère à Xavier Dorfman (et à bien d’autres) était condamnée par le Comité international olympique (CIO) et par son président d’alors Thomas Bach qui ne voulait pas entendre parler de catégories de poids dans des sports autres que ceux de combat. On avait beau lui objecter que cela donnait souvent lieu aux courses les plus denses et les plus disputées du programme olympique, Bach ne voulait rien entendre. Le fait que les nations qu’on retrouvait au top niveau soient les mêmes que celles présentes en toutes catégories n’arrangeait en rien l’affaire.
De cette opposition, Jean-Christophe Rolland a tenté de faire une opportunité, et il y est parvenu. La logique qu’il a défendue était la suivante : puisqu’on nous enlève les poids légers, tentons d’en profiter pour développer un autre style d’aviron. Le monde de l’Olympisme est un milieu hautement politique et on n’obtient rarement gain de cause en y allant en s’opposant avec ses gros sabots. Au fil des ans, le champion olympique 2000 est devenu un personnage respecté au sein des instances lausannoises et sa politique de petit pas a porté ses fruits. Il ne faut pas oublier que les PL auraient dû disparaitre au soir des Jeux de Tokyo mais il est parvenu à obtenir un sursis de trois ans, le temps de peaufiner le projet aviron de mer. Cela parait peu vu de loin, mais quand on connait le monde feutré du CIO, c’était déjà un sacré succès d’avoir obtenu ses trois ans de rab’. Tout comme l’a été la reconnaissance de l’aviron de mer comme discipline olympique. Il y avait beaucoup de sports qui voulaient ajouter des épreuves au programme de Los Angeles, mais la FISA est la seule fédération à avoir obtenu gain de cause.
Depuis plusieurs années, Rolland entend développer l’aviron suivant trois axes : l’aviron classique, l’aviron en salle (ce bon vieil instrument de torture connu sous le nom savant d’ergomètre) et l’aviron de mer. Un bon moyen selon lui d’ouvrir le plus beau des sports à des pays et des publics qui en étaient jusqu’à présent privés. L’avenir dira ce qu’il en est vraiment.
Reste à appréhender maintenant l’événement en tant que tel. Pour beaucoup, avec son sprint sur la plage et son plongeon sur un buzzer hérité de question pour un champion, l’épreuve a un côté Intervilles. Mais son côté fun correspond aussi, même si on peut le regretter, avec l’évolution du sport tel qu’on le connait aujourd’hui. Même si cela donne des expériences parfois malheureuses comme avec le breakdance aux derniers JO, le CIO veut rajeunir à tout prix l’image des Jeux et l’aviron de plage rentre dans cette catégorie. Cela donne une image de sport innovant à l’aviron et conforte sa présence aux Jeux. La prochaine étape pourrait être l’entrée de bateaux mixtes sur les 2000 mètres en ligne des Jeux Olympiques de Brisbane en 2032. Plus classique mais tout autant révolutionnaire. « Changer ou être changé » était la devise de Thomas Bach. La FISA peut la reprendre à son compte.
Marc Ventouillac