« Quand on pense que nous sommes parties de zéro ! Il y a un mois, il n’était même pas question de médaille. » Ces mots, Emma Cornelis ou Hezekia Peron auraient bien pu les prononcer au soir de leur médaille d’argent surprise des championnats du monde de Shanghai. En fait, ce sont ceux de Christine Gossé après la finale du deux sans barreuse des championnats du monde de Tampere (Finlande). Ce 26 août 1995, la Lorraine venait de remporter avec Céline Garcia une médaille de bronze dans des circonstances assez similaires à celle décrochée sur le plan d’eau chinois.

A l’époque, Christine Gossé faisait équipe avec Céline Garcia, dont les 19 ans font écho aux 20 ans d’Hezekia Peron. Là aussi, comme pour Cornelis-Peron, le bateau avait été composé au tout dernier moment, à l’occasion du stage terminal, mais les circonstances étaient bien différentes.
Christine Gossé avait à l’époque une toute autre expérience qu’Emma Cornelis. A 30 ans, la Messine avait déjà deux titres mondiaux à son actif conquis les deux années précédentes aux côtés d’Hélène Cortin. Cette dernière, blessée, avait été contrainte de faire l’impasse sur la saison et les championnats du monde. Par respect pour sa coéquipière, Christine Gossé avait alors décidé de ne pas chercher de remplaçante et devait s’aligner aux championnats du monde en deux de couple. Mais lorsqu’elle apprend au tout début du stage terminal de Bellecin que la fédération prévoit quand même d’engager un autre deux sans barreuse pour tenter de qualifier le bateau pour les Jeux d’Atlanta, Gossé tape du poing sur la table, prête à faire ses valises. « Je ne voulais pas devoir ma qualification olympique à quelqu’un d’autre », devait -elle expliquer.
La voilà donc appairée à la jeune Céline Garcia qui comme Hezekia Peron n’a jamais disputé de championnat du monde. A la différence de la Libournaise, Garcia était une coupleuse (vice-championne du monde juniors l’année précédente) et il lui fallut illico presto s’habituer à la pointe et à la ramerie de son aînée. Pari réussi : sous une pluie battante, malgré cette préparation minimale, la médaille de bronze était au bout de l’aventure. L’année suivante, Garcia rendait sa place à Hélène Cortin, laquelle, à nouveau associée à Christine Gossé terminait sa carrière sur une médaille de bronze olympique. La brune Céline Garcia devait participer par la suite à deux Jeux Olympiques, mais jamais elle ne retrouva le podium.
A Shanghai, Emma Cornelis et Hezekia Peron ont donc bouclé la boucle en apportant à l’aviron féminin français sa première médaille mondiale en catégorie olympique depuis 1995. Nul ne se doutait alors qu’on entrait dans une telle période de disette pour l’aviron féminin français. Il fallut tout le travail effectué par Christine Gossé après les Jeux de Londres en 2012 pour voir les filles retrouver progressivement le haut niveau depuis une dizaine d’années.
Cette médaille obtenue par cette nouvelle paire augure bien de l’avenir, même s’il faut rester prudent. La densité d’une année post-olympique n’a rien à voir avec ce qui attend les Bleus lors des prochaines années. Accoster au ponton d’honneur va devenir de plus en plus difficile d’ici les Jeux de Los Angeles. Reste qu’Emma Cornelis et Hezekia Peron ont maintenant les bases pour aller plus loin. L’aviron français reste cependant toujours en phase de timide reconstruction. Le problème de base tient tout d’abord à la faiblesse du réservoir de rameurs de haut niveau. Et cela ne se règle pas en un clin d’œil.
Marc Ventouillac